LE TIPASA
R.C., ami de très longue date – je reviendrais sur cette amitié – venait d’acquérir un yacht de 52 pieds, une pure merveille : intérieur et extérieur recouvert de bois triple-acajou magnifique cabine propriétaire, grand carré, deux autres cabines larges et agréables, cuisine entièrement équipée, salle de bain… en d’autres termes, c’était la classe, sorti du chantier italien Baglieto. Il était équipé de deux puissants moteurs de 450 chevaux chacun. R. l’avait baptisé Tipasa (en souvenir de l’Algérie et d’Albert Camus). Son port d’attache était Port Grimaud, cité lacustre dans le golfe de St Tropez.
Au début du mois aout 1980, R. propose à sa compagne M., à Danielle et à moi un embarquement pour la première croisière du Tipasa, destination Athènes. Nous nous préparons donc tous les quatre à vivre cette odyssée.
Mais il nous faut un skipper ou une personne susceptible de s’occuper de la salle des machines. Un dénommé Merciéka, un bônois se présente bientôt… (les nouvelles allant vite sur les pontons). Il nous dit avoir travaillé sur un grand Bank, bateau américain, utilisé pour la pêche au gros en haute mer, ajoute qu’il connait les machines, la navigation et que pour couronner le tout, c’est un excellent pécheur ! Roger lui fit donc confiance.
Escale à Bonifaccio
Après avoir fait un avitaillement conséquent, style R.C., nous larguons les amarres. Notre première escale est Bonifacio avec son port caractéristique et sa citadelle médiévale où nous dinons dans un petit restaurant corse, attablés à coté de Marie José et Guy Bedos…
Escale à Ischia et Amalfi
Cette première traversée par temps calme fut un vrai régal, chacun appréciant le confort du Tipasa, son comportement en mer, le doux ronronnent de ses moteurs. Moi qui n’avais connu que la navigation à voile, étais agréablement séduit. Puis nous nous dirigeons vers l’archipel de La Madgdalena, formé d’un groupe d’îles magnifiques. Nous mouillons dans l’une d’elles et descendons à terre où nous faisons un excellent repas à l’addition plutôt salée…
Nous faisons ensuite une escale à Ostie, le port de Rome, sans attrait particulier, uniquement pour faire le plein de carburant. Nous prolongeons notre route vers Naples pour découvrir son typique petit port de plaisance, situé en pleine ville. Il Ce dernier est complet en outre il fait fonction de piscine… Nous avons ainsi du mal à nous frayer un chemin à travers la nuée de plongeurs et de baigneurs ! Nous décidons alors de tenter notre chance à Capri, sans trop d’espoir. En effet plus de place au port mais nous en profitons pour faire le tour de l’île en contemplant les riches demeures qui bordent sa côte. Puis nous nous dirigeons alors vers Ischia, lieu de résidence de nombreux napolitains et nous trouvons enfin une place à quai. C’est que le bônois nous fit des anchois grillées excellents ça rappela le pays.
Puis direction Amalfi. Le quai du petit port de plaisance, au pied de la ville est lui aussi complet. Le responsable du port nous indique de nous mettre devant les bateaux déjà à quai. Il arrive sur le Tipasa, sautant d’une embarcation à l’autre avec une agilité déconcertante ; il nous ordonne de nous appuyer sur un autre bateau et de mouiller exactement là ! Nous obéissons inconditionnellement. L’ancre se pose alors en douceur sur un petit carré de sable, entouré d’une forêt de chaines et d’ancres. Chapeau Monsieur ! L’homme de petite taille régissait le port de mains de maître avec autorité et compétence malgré son infirmité : il avait visiblement souffert d’orchite…
Cathédrale San Andrea
A terre, pendant que M. et Anne sa fille qui nous avait rejoints et Danielle vont faire les boutiques, R. et moi dégustons des sardines qu’un pécheur fait griller, sur le quai ( le souvenir de la Grenouillère nous revint à l’esprit …) .
Côte Amalfitaine
Nous profitons de notre séjour à Amalfi pour louer une voiture. Par la route côtière d’une beauté à couper le souffle, nous nous rendons à Paestum et visitons un de ses nombreux temples, celui dédié à Poséidon, magnifique construction architecturale.
Paestum Temple de Poséidon
Voici ce qu’a écrit l’écrivain américain John Steinbeck sur Amalfi et la côte amalfitaine : « C’est un lieu de rêve qui ne semble pas vrai quand vous y êtes et vous ressentez une grande nostalgie au moment de le quitter
Ou encore, ce commentaire (dithyrambique) de l’office du tourisme italien :
« De Sorrento à Salerne, La Côte Amalfitaine est une des plus belles côtes d’Italie, d’Europe, et sans doute du monde. Des montagnes abruptes dévalent vers la mer Tyrrhénienne, où selon Homère le héros Ulysse rencontra autrefois les Sirènes »
Nous quittons Amalfi, encore sous le charme…. Après ces deux semaines de navigation, chacun peut faire le point : les «filles»’ ont bronzé et se sont amarinées, R. n’a plus aucun secret pour la salle des machines et j’ai découvert les plaisirs de la navigation d’un yacht à moteur. Tout le monde est ravi sauf peut être le bônois lequel n’a attrapé aucun poisson (malgré ses 6 moulinets), ne s’est baigne pratiquement pas (il nage à l’indienne !) et craint le soleil et la chaleur… Nous nous dirigeons à présent vers l’archipel des îles Éoliennes où nous projetons de faire trois escales qui vont nous apporter chacune une surprise.
L’île de Stromboli
La première est l’île de Stromboli. Je n’hésite pas à joindre ici la description faite par l’office du tourisme italien : « L’île est connue pour le volcan du même nom, lequel s’élève à 924m au-dessus du niveau de la mer et qui a une profondeur sous-marine de plus de 2000m. De ses trois cratères actifs sont sortis les personnages de Jules Verne du «Voyage au centre de la terre. L’ascension jusqu’au cône volcanique se fait dans l’après-midi pour pouvoir être dans la soirée sur une plate-forme, 200m au-dessus des bouches éruptives ; on voit le spectacle d’une nuit d’incendie. Le chemin de 5 ou 6 heures ne peut pas être abordé avec des tongs … en particulier la dernière partie. Le spectacle des éruptions avec une régularité étonnante, des lapilli rouges feu dans le ciel noir donnant l’impression d’un feu d’artifice est exceptionnel. La montée se termine à 364m au-dessus du niveau de la mer. Le grand entonnoir du cratère expulse en permanence des fumerolles et vapeurs sulfureuses entre 100° et 200°. L’excursion est sans danger même s’il y a des alertes et des avertissements de danger, tous les jours depuis longtemps, et il est déconseillé de s’éloigner du guide ou descendre seul du volcan dans la nuit. Les explosions de feu et lave se répètent à intervalle plus ou moins régulier, toutes les 20 minutes, et, avant toute éruption vous entendez un puissant rugissement, le sol tremble puis les explosions se reproduisent. Au début de la montée au Stromboli un panneau prévient du danger de rester plus d’une heure à respirer l’anhydrite sulfurée des émissions volcaniques.»
Bien sûr, nous ferons l’ascension sauf Danielle qui resta sur Tipasa avec le bônois. La montée fut pénible, la descente en pleine nuit aussi, mais quel spectacle !!! ( Il est de tels sites qui nous font oublier par leur beauté les efforts fournis pour les atteindre)
A noter que partis vers 17 h, nous arrivons à 2h du matin au petit village situé au pied du volcan où une seule auberge était encore ouverte ; nous faisons une orgie de pizza, sandwich, glace de boisson
Panarea
La 2ème surprise fut moins grandiose mais non moins appréciée. Nous accostons à la petite île de Panarea où sur son quai se trouve notre surprise… en l’occurrence un pêcheur qui aborde R. Une demi-heure plus tard, nous sommes attablés à la terrasse d’une modeste maison, située en hauteur, avec vue imprenable sur le port et les îles avoisinantes. Là, nous dégustons un civet de lièvre accompagné de la pasta , totalement hors du temps ! La cuisinière, épouse du pécheur, fut ahurie par la quantité de pâtes que nous avons dévorées !
Vulcano
La 3ème surprise, plus ‘’terre à terre’ sera l’île de Vulcano où nous faisons une courte escale pour prendre un bain en se vautrant dans la boue… Commentaire de l’office du tourisme avec photo à l’appui : « L’île est constituée par le sommet émergé d’un volcan (éteint depuis 1870) qui culmine à 499m. Le centre est occupé par un double cratère, siège de l’activité volcanique et comportant de nombreuses fumerolles colorées en jaune par les cristaux de soufre. Les côtes sont escarpées mais comportent quelque plages de sable noir où débouchent des sources thermales soufrées aux vertus réputées thérapeutiques et dont la température varie d’environ 35 °C à 50 °C. Des mares de boues sulfureuses permettent aussi de prendre des bains ».
Les méthodes de pêche
Nous reprenons bientôt la navigation, toujours au Sud, vers le détroit de Méssine où nous passons entre Charybde et Scylla où nous assistons au ballet des luntri : «Chaque année, entre le mois de mai et le mois d’août, les espadons de la Méditerranée traversent le détroit de Messine qui, pour eux, est une des principales zones de ponte. Et c’est là que les attendent d’étranges embarcations sur lesquelles on pratique depuis l’antiquité la pêche traditionnelle au harpon. Autrefois, on les appelait les « luntri », et il s’agissait de petites barques à rames avec un mât au centre sur lequel grimpait la vigie. Dès qu’un poisson était en vue, les rameurs se dirigeaient vers lui rapidement et le harponneur dardait sa lance avec la force de son bras. La technique actuelle est la même, mais les appendices des barques ont grandi pour améliorer d’une part le repérage. Aujourd’hui, l’antenne centrale mesure jusqu’à 25m de haut, au sommet se trouve une plate forme où peuvent prendre place trois personnes, dont l’homme qui tient la barre. La position du harponneur se trouve à la pointe de la passerelle, prolongeant la proue de 30m. Naturellement il s’agit maintenant de barques à moteur.»
C’est ensuite Taormina
« La ville est célèbre pour le théâtre antique gréco-romain, toujours utilisé de nos jours. À côté de ce site, des falaises se dressent au-dessus des eaux, formant des criques dotées de plages de sable. Une étroite bande de sable relie la ville à Isola Bella, une minuscule île servant également de réserve naturelle.»
Là, nous attend l’ultime surprise non programmée, celle-là… Après avoir trouvé une place au port, nous partons visiter la ville et son théâtre. Au retour, le bônois avait mis son sac à terre ! Il nous expliqua qu’il se sentait inutile, qu’il supportait de moins en moins la chaleur lui qui n’aime pas se baigner, qu’il a été incapable de ramener un poisson à bord… Nous essayons de le retenir mais sa décision est prise. Il faut dire que nous nous attendions un peu à ce départ.
Taormina
Il faut donc planifier la suite des événements : nous nous réunissons tous les quatre et décidons de faire demi-tour, cap plein Nord, estimant que R. et moi pouvons mener le Tipasa à bon port. Nous quittons Taormina après avoir fait un ravitaillement à l’italienne, direction l’île d’Elbe, sans escale. Aucun souci pour contrôler le Tipasa sinon un seul point noir : R. doit descendre tous les jours dans la salle des machines pour surveiller leur fonctionnement. Il circule entre les deux arbres de rotation qui sont à découvert ; chaque fois qu’il disparait par la trappe d’accès, j’en suis ‘’malade’’, je le vois happer par les machines alors que je ne peux pas l’aider. Tout se passe bien jusqu’à ce que se produise un grand bruit venant de la salle des machines . Effrayés puis surpris, nous constatons que la turbine d’un des moteurs a explosé. Petite précision : cet accident n’est pas dû à un mauvais entretien des machines ni de R. ni du bônois (preuve en sera donnée par le faite que les tous frais de réparation qui seront tous pris en compte par les assurances). Après nous être remis de nos émotions et avoir envisagé la suite, nous décidons de faire route, avec un seul moteur, à vitesse réduite vers Porto Azzuro, au sud de l’île d’Elbe. Là, nous mouillons devant le meilleur restaurant de poisson de l’île. Le soir, pour apaiser sa colère contre le Tipasa, R. nous y invite. Le patron, qui a reconnu en C…, le nom d’une famille originaire de l’île demande de lui faire confiance pour la composition du menu. Un vrai festin : langoustes, poissons grillés, fruits de mer… Au début du repas, R. voulait couler le Tipasa, à la fin du repas, il veut ramener à son port d’attache.
Port Grimaud
Donc direction Port Grimaud en doublant le Cap Corse et en longeant la côte d’Azur. Le temps est clément, la mer calme. Nous naviguons sereins. C’est ici que rentre en seine Dédé Destéfani, le cousin de Roger qui prend de nos nouvelles par téléphone. Informé de notre avarie, il nous propose immédiatement son aide lord de à notre arrivée au port. Je lui dis de nous attendre sur le quai où je lui lancerai une amarre qu’il devra fixer rapidement à une bite d’amarrage afin que Roger puisse terminer la délicate manœuvre sur un seul moteur. Lorsque nous arrivons devant le chenal d’entrée de Port Grimaud, nous découvrons notre Dédé, chevauchant un Zodiac, gesticulant et criant à tue-tête «Place, place, mon cousin arrive, il n’a plus qu’un moteur» R. qui voulait arriver discrètement est servi ! Nous nous présentons doucement devant la place à quai du Tipasa, je me poste à l’avant du bateau mais…pas de Dédé. Je me retourne et je le vois à bord, il venait pour nous aider… à sa façon ! Heureusement, j’aperçois sur le quai un touriste allemand en train d’admirer le Tipasa. Je lui lance l’amarre il sait quoi faire avec.. R. pu accoster après une magistrale manœuvre !
Ainsi, se termina notre odyssée. Nous en étions tous les quatre heureux et fiers. Danielle et moi remercions, encore aujourd’hui,R., pour cette aventure palpitante et magique.